Comme à l’accoutumé, le Festival International du Roman Noir (FIRN) a confié la réalisation de l’affiche du festival et ses déclinaisons à un artiste de renom. Après Munoz, Mezzo, Loustal, Hyman… cette année c’est la bédéiste américaine Lale Westvind* qui a prêté ses traits à la thématique de cette édition, le corps et ses vicissitudes. Entretien avec la croqueuse d’anatomie.
Quelles sont les principales influences artistiques qui ont contribué à forger votre style et comment se manifestent-elles dans votre travail ?
J’ai des milliers d’influences. Impossible de les hiérarchiser, il faudrait plutôt les classer par ordre chronologique. J’ai toujours été attirée par les images dégageant une énergie, une vie ou une sensibilité marquée par une vision extrêmement forte et originale, susceptibles d’inspirer ma propre vision. Je suis passionnée par le cinéma. J’adore son langage visuel, son sens du mouvement. La physique absurde et les cadrages impossibles des dessins animés réalisés à la main me stimulent énormément. J’adore la peinture figurative de toutes les époques. En BD, parmi mes sources d’inspiration on trouve les Donald Duck, les Tank Girl, les œuvres d’Osamu Tezuka, de Mœbius, de Charles Burns et de Gary Panter. Mes parents étaient tous deux artistes et leur empreinte est visible sur mon travail. J’ai aussi grandi à Harlem ; l’art et la culture de ce quartier de New York m’ont profondément impactée.
Comment abordez-vous la représentation des genres et des identités pour créer des personnages authentiques et diversifiés, tout en évitant les pièges des clichés et des préjugés ?
Je représente les gens que je connais et que je veux connaître, la personne que je suis et que je veux devenir, l’animal sauvage et libre qui sommeille en nous tous. Les clichés reposent sur l’ignorance. C’est paresseux ! L’antidote est la curiosité et l’éventail des possibles. Depuis que je suis toute petite, ce que je fais dans le monde et comment, a été scruté, critiqué et remis en question à cause des stéréotypes de genre. Laissez les gens être et faire ce qu’ils veulent. Je ne pense pas aux stéréotypes lorsque je travaille. Je pense aux êtres. Ce sont des dessins après tout. Ne sont-ils pas libres ?
Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif lors de la conception de l’affiche du Firn, de la première idée à la réalisation finale ?
À l’époque où j’ai été contactée par le FIRN, je peignais des petits tableaux de corps-machines, pour la plupart d’apparence non humaine, des mutants à mi-chemin entre l’animal et le véhicule ; il se trouve que ce thème faisait écho à celui du festival. Le corps-machine, potentiellement fabriqué sur mesure, doté ou privé de conscience. Le corps-matrice, aussi, et l’ombre de la tombe. Tout ce qui correspond à notre expérience d’êtres de chair circulant entre la naissance et la mort. Après de nombreux croquis et dessins, j’ai peint un tableau représentant ce concept de tendre corps-machine, puis l’ai retravaillé numériquement pour créer l’affiche.
À l’origine de mes œuvres, il y a toujours une idée « bizarre » que je déniche et que je creuse en me concentrant sur tel ou tel aspect précis. Après une série de croquis grossiers, transitoires, commence un long processus d’affinage : je révise, je redessine, j’efface et j’organise afin d’obtenir les images et les idées les plus frappantes, les plus pertinentes. Pour une affiche ou une couverture, après avoir assemblé les éléments sélectionnés, je fais encore beaucoup d’essais sur les couleurs et la composition. Quand tout se passe bien, je m’éclate et ma concentration demeure totale. Mais parvenir à cet état-là nécessite un certain effort. C’est ça le plus dur, générer cette énergie-là et la maintenir jusqu’au bout.
*Lale Westvind est une artiste de bande dessinée américaine dont le travail dynamique et novateur défie les conventions de genre. À travers des récits visuels captivants, elle explore des thèmes tels que la science-fiction, le féminisme et la lutte contre les normes sociales.
Son style distinctif, caractérisé par des lignes énergiques et une palette de couleurs audacieuse, fusionne l’esthétique underground avec des influences de l’art séquentiel contemporain. Son 1er album Grip est sorti en 2023 aux éditions Requins Marteaux.